jeudi 21 janvier 2010

Peut-on parler de littérature polaire ?

Une prochaine conférence [lien mort] à la bibliothèque de l'Abbé Grégoire à Blois dans le cadre de l'exposition "Survivants des glaces" [lien mort] m'amène à me poser la question "peut-on parler de littérature polaire?". En effet, une rapide recherche Internet sur le sujet a fait ressortir cette expression: 
  • dans ce petit texte composé par le jury du Prix du Cercle polaire 2007(" Les jurés du Prix du Cercle Polaire ont été séduits par la qualité exceptionnelles de cet ouvrage qui est le premier dans la littérature polaire à privilégier cette approche artistique" 
  • dans l'ouvrage d'Emmanuel Hussenet, Rêveurs de pôles (Seuil, 2004) : "La littérature, par la suite, ne cessera de le rappeler : il n’existe pas de lieu plus symbolique, plus puissant, plus fatal que ces pivots terrestres. Relater l’aventure ahurissante de cette conquête imaginaire implique une navigation aux limites de l’acceptable. Qu’est-ce que la littérature polaire, sinon un fibrome dans un organe culturel, un effet d’illusion dans une communauté de savoirs, une touche de rareté glacée parmi une profusion d’ardeurs ? " 
  • sur l'ancien site de Jean-Louis Etienne, à propos du livre de Jean Malaurie, Les Derniers rois de Thulé (Plon, 1975) :"Un grand classique de la littérature polaire, un ouvrage essentiel sur le peuple esquimau, écrit par un expert en écologie et anthropologie arctique." 
Après ces exemples d'usages, quelques observations s'imposent. Les utilisateurs de l’expression « littérature polaire » ne sont pas des littéraires stricto sensu : ce sont des individus évoluant dans le milieu de l’exploration scientifique et/ou hédoniste des pôles. D’où une première réflexion : leur utilisation du terme renvoie à un corpus assez hétéroclite (cf. sélection pour le Prix du Cercle polaire) où se côtoient récits de voyages et d’exploration, fiction, « beaux livres », récits ethnographiques (si cette dernière catégorie peut être considérée comme telle). Le syntagme « littérature polaire» désignerait ici, dans cette large acception, l’ensemble de la production écrite ayant pour objet la représentation des pôles. Le descriptif comme le narratif, le fictif comme le factuel, constituent un genre ainsi reconnu socialement par son thème. Hussenet semble avoir la conception la plus large de la « littérature polaire », en y incluant entre autres la science-fiction avec Barjavel, auteur pionnier de la SF française bénéficiant de la reconnaissance éditoriale au point d’être édité chez Gallimard et notamment dans la collection Folioplus Classiques (Ravage, n°95, 2007), et ce sans doute avec raison. Il y inclut aussi les aventures de Tarzan d’Edgard Rice Burroughs, mais comment mesurer l’impact ici de l’engouement contemporain pour une culture "popu-chic" ou bobo ? Pour en revenir à la SF, voilà peut-être la limite de cette ouverture : la SF peut figurer dans le corpus dans la mesure où elle a été adoubée pour des qualités littéraires (à définir) qui ne vont toujours pas de soi pour tout le monde. Le roman de Clive Cussler, Tempête polaire (Grasset, 2009), non salué par la critique littéraire au point d'être enseigné en classe, serait-il considéré comme appartenant à la « littérature polaire » par les utilisateurs de cette expression ? Rappelons la trame narrative du livre (extraite du site de l'éditeur) : En pleine Seconde Guerre mondiale, Kovacs, un excentrique génie hongrois, découvre comment provoquer une inversion des pôles à l’aide d’ondes électromagnétiques. Mais on perd toute trace de lui et de ses travaux… jusqu’au jour où le leader d’un groupe altermondialiste essaie d’utiliser les théories de Kovacs en guise d’avertissement aux puissants de ce monde.. Et voici (re)venir le débat sur la définition de la littérature (et de la paralittérature) : la « littérature polaire » est-elle la même pour tous les utilisateurs de l’expression ? Le roman « populaire » de Cussler et ses oscillations altermondialistes sont-ils dignes d’en être ? Ou bien sont-ils trop périphériques, voire souterrains, pour être même hissés au niveau des Tarzan, Barjavel, Malaurie, Verne, London, Shackleton, l’anonyme du Récit du passage du pôle arctique au pôle antarctique, Shelley ou Pythéas le Massaliote ? Ce questionnement me paraît bien légitime, d’autant plus que les habitués de l’expression ne s’interrogent pas (ou ne font pas montre de s’interroger) sur leur terminologie. Car dans le fond, qu’entendent-ils par littérature ? A suivre...

Article mis à jour en novembre 2020 (la plupart des liens sont morts ; les sites ont été supprimés ou modifiés, et leur contenu aussi). 


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