samedi 23 janvier 2010

Peut-on parler de littérature polaire ? (2)

Les textes retenus montrent pour certains que le mode narratif et la dimension fictive prédominent (Hussenet par exemple). Pour d’autres (J-L. Etienne, les membres du Cercle polaire), la littérature désigne tout ce qui imprimé dans une acception classique des belles-lettres (Compagnon, 1998, 32). Dans le premier cas, on essaie de maintenir ou d’établir une dimension littéraire aux textes, dans le second on élargit trop au point que « la littérature perd sa ‘spécificité’ : sa qualité proprement littéraire lui est déniée. » (Compagnon, ibid.). Il faut déjà remarquer que la littérature ne saurait se limiter à la fiction : Todorov, débattant de l’affirmation de René Wellek qui voyait dans la fictionalité le « trait distinctif de la littérature » remarque que « rien n’empêche une histoire qui relate un événement réel d’être perçue comme littéraire » (Todorov, 1987, 13). Ajoutons bien sûr que toute fiction n’est d’ailleurs pas perçue comme relevant de la Littérature (la grande !) : il y a la littérature de gare, la paralittérature, la sous-littérature… Et les spécialistes de remarquer, à quelques nuances près, qu’ « il n’y a pas d’essence de la littérature, laquelle est une réalité complexe, hétérogène, changeante » (Compagnon, 48) et que « faute de pouvoir être définie par une approche essentialiste, la littérature gagne à être cernée à travers les représentations et les usages qu’elle suscite à travers le temps, l’espace et les sociétés » (Fraisse et Mouralis, 2001, 85).
Une fois cela posé, que faire néanmoins de l’adjectif « polaire » ? Au-delà de la désignation géographique, doit-on comprendre que relève de la littérature polaire tout texte mentionnant cette réalité? Ou bien faut-il considérer une approche singulière du lieu qui reviendrait à le mettre en intrigue ? Car enfin, il est évident que le Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley, Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgard Poe, Les Voyages et Aventures du Capitaine Hatteras de Jule Verne ou le Récit du passage du pôle arctique au pôle antarctique font référence aux régions polaires mais sans qu’on ne puisse les réduire pour autant à cette seule classification générique. On voit mal comment Frankenstein pourrait être qualifié de « roman polaire ». L’œuvre est bien plus complexe que cela et ces livres ne sauraient être réduits aux seules « bonnes pages » venant appuyer le discours théorique. Il serait plus judicieux et moins exalté sans doute de parler de la représentation des régions polaires en littérature (au sens large) que de « littérature polaire », même si ce choix témoigne d’une certaine froideur scientifique pouvant éloigner le lecteur vers des régions plus clémentes.

Références :
Compagnon, Antoine : Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil coll. Points, 1998.
Fraisse, Emmanuel et Mouralis, Bernard : Questions générales de littérature, Paris, Seuil coll. Points, 2001.
Todorov, Tzvetan : La Notion de littérature et autres essais, Paris, Seuil coll. Points, 1987.

Aucun commentaire: