mercredi 13 avril 2011

De la littérature en classe de FLS

Il y a bientôt un an j'avais écrit un premier texte sur l'utilisation d'un genre particulier, le polar, dans des classes universitaires de français langue seconde (FLS). Ayant depuis changé de pays, je me retrouve dans la situation où je peux encore proposer la création de nouveaux cours dans l'optique où ceux-ci seront susceptibles de répondre aux attentes et besoins des étudiants, tout en les motivant à poursuivre leurs études en français.

Disons-le tout de suite, la tâche s'annonce rude tant l'enseignement des langues autres que l'anglais et l'espagnol, à des niveaux autres que purement communicatifs, n'est plus ce qu'il était et qu'il paraît de plus en plus difficile de nos jours d'attirer une jeunesse dont je ne suis, après tout, pas si éloigné dans le temps, vers des horizons dits Culturels avec un C majuscule. D'ailleurs, on parle allégrement aujourd'hui de crise des "humanités" comme on dit d'où je parle. On peut consulter à ce sujet le dossier mis en ligne par l'équipe de Fabula.
Bref, après un an à enseigner de nouveaux cours et avoir osé en proposer un sur la littérature de voyage canadienne d'expression française, je me trouve à nouveau à réfléchir sur la même question.

Quid du polar alors ? L'enquête entamée il y a un an se poursuit mais avec de nouvelles interrogations, ou plus précisément fait ressurgir des questionnements sur l'insistance à vouloir transmettre à ces étudiants des contenus culturels patentés dans la mesure où l'appréciation de la qualité de ces contenus est en premier lieu tributaire du vécu scolaire/universitaire de l'étudiant.

Comment, en effet, transmettre dans une langue autre, l'idée d'une appréciation critique et esthétique (car c'est bien dans cet esprit que le texte littéraire se donne à lire avant tout) à des personnes dont les bases dans ce domaine sont fragiles, voire inexistantes ? Comment faire dépasser le stade de la "simple" lecture cursive (compétence linguistique déjà fort louable si elle est maîtrisée) à ces étudiants souvent très enthousiastes et les amener à l'analyse et l'interprétation sans les perdre en route ?

On pourrait me rétorquer que l'enseignement de la chose littéraire est loin d'être négligée dans les pays où j'ai sévi en tant qu'universitaire. Oui mais voilà : l'enseignement de la littérature dans la langue maternelle des étudiants à qui j'enseigne en français se construit encore autour des dérives engendrées par l'application systématique de théories telles que le "New criticism" (pour l'Alberta au Canada, voir cet article), le structuralisme sec des années 60/70 (moins présent en Amérique du nord) ou encore le "Reader-response theory". A ce propos, on se demandera pourquoi on présente en France à des collégiens de 11-12 ans, dont un grand nombre ne maîtrise pas la lecture de leur langue maternelle, une littérature analysée à grands coups de termes barbares (schéma actanciel, focalisation, etc.) ? Le succès de cette démarche est d'ailleurs tel que peu d'élèves sortent transportés de leurs cours de français...

Si les étudiants ont donc été exposés à des textes littéraires, à leurs analyses et interprétations, ont-ils jamais été sensibilisés au caractère double de la littérarité (formelle et/ou conditionnelle) de ces textes et à prendre conscience de l'enjeu du texte littéraire dans la société qui le voit naître et dans celle qui le reçoit ? On peut croire que les tragédies de Racine sont d'une modernité inouïe mais comment l'expliquer et le faire passer ?

On m'objectera encore que la littérature est bien malmenée et doit disputer son statut de "loisir culturel" comme on dit à d'autres formes a priori moins exigeantes en termes d'effort intellectuel. On pourra lire d'ailleurs cette synthèse de l'INSEE sur la question qui fait aussi ressortir la baisse de la transmission par l'exemple parental ainsi que, de manière inattendue je le concède, la non-concurrence entre le bouquin et la télé. Et on s'attardera aussi sur le fait qu'en 2005, 41 % des 25-39 n'avaient lu aucun livre en 12 mois (Enquête INSEE). Et donc on se demandera finalement à quoi bon faire lire les classiques que plus personne ne lit... sauf en cas d'intervention présidentielle dont on se demande si finalement la répétition ne serait pas souhaitable dans le but de promouvoir la lecture, d'oeuvres littéraires si possible. Souvenez-vous...Et l'on se prendrait même à rêver d'une contagion présidentielle à l'échelle internationale et d'un monde où la littérature ne ferait plus peur (?) et ne serait plus rasoir mais au contraire "contestatairement" branchée... Une tradition élitiste rejettée par l'élite et reprise par la masse... Mais voilà que mon côté dix-huitièmiste ressort et me fait dériver doucement vers l'utopie et le bavardage... Je reprends : si j'en crois le rapport Sociologie de la lecture en France : état des lieux, les jeunes lisent moins, les filles lisent plus que les garçons, et la littérature n'a plus ce statut distinctif. Pas besoin de lire pour exister. On ira voir ausssi la synthèse de 2007 proposée par le Centre national du livre. Voilà pour la France.

Au Canada, les choses ne semblent pas si pires, comme disent les Québécois. Les Canadiens lisent fréquemment (87 ou 67 % d'entre eux avaient lu un livre au cours des 12 derniers mois) et leur situation semble meilleure que celles de leurs voisins américains. Toutefois ces statistiques sont différentes de celles utilisées pour la France. Il faudra creuser la question avant d'aller plus loin sur ce sujet.

Je peux quand même poser la question suivante sur la base de mon expérience d'enseignant ayant causé littérature dans 4 pays différents et deux continents. Comment rendre cela important dans la mesure où l'appréciation de ce type de textes se fait dans une langue autre, sur la base de connaissances théoriques (et linguistiques) parcellaires ? On peut bien sûr tenter de remédier à cette question en proposant d'emblée un cours sur les techniques d'analyse littéraire, sans se soucier de savoir si premièrement tout sera compris et deuxièmement si cela suffira à montrer et à convaincre de la beauté de la littérature, cette dernière question ne se posant pas à l'enseignant, déjà converti. Les outils d'abord, le plaisir ensuite, si plaisir il y aura jamais. Car si cette solution est celle pratiquée dans la langue maternelle des étudiants, avec un succès qui devrait porter à réfléchir, il me semble bien cruel et finalement très contre-productif de faire de même dans la langue cible. (à suivre...)

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