dimanche 13 juin 2010

De la littérature policière

Ayant en tête de vouloir diversifier mon approche de la littérature en FLS, je me suis intéressé à l'idée, déjà fort répandue, d'utiliser ce que j'appelle le polar (j'y reviendrai), genre perçu comme mineur et par-là plus accessible que le reste de la Littérature française et de ses classiques en particulier. Dans les faits, il peut en être tout autrement. Prenez un San Antonio par exemple, et essayez de faire cours avec des étudiants dont le français n'est pas la langue maternelle...

Pour certains, polar, roman policier relèvent encore de la paralittérature, littérature populaire, littérature de gare, mais pas de la littérature de Prisunic. Cette dernière catégorie étant plutôt réservée au genre sentimental,entre le rayon frais et la droguerie, pour des raisons de "targeting" commercial évidentes (j'aurais pu écrire 'ciblage' mais dans notre société, les termes des affaires ont ce je ne sais quoi de plus authentique et efficace en anglais). Bref, pour dire que les idées reçues en littérature ont la vie dure, surtout
- lorsqu'elles sont validées par une partie de ses représentants officiels ayant le droit de pérorer dans les grandes cathédrales médiatiques
- et que le commerce s'en mêle...

D'un autre côté, on enseigne le polar au collège. S'agit-il du signe d'un changement que la société se doit d'intégrer ou alors d'une nouvelle tentative pour intéresser le "djeune" à la lecture ? Les deux, sans doute. En attendant, Didier Daeninckx doit être heureux, et nous aussi pour lui. Le genre a du succès auprès des lecteurs, au point que les "grandes" maisons d'édition se sont inventées des collections "noires" pour distribuer les dits ouvrages avec de jolies couvertures modernes. Je ne citerai personne ici. De jeunes et moins jeunes auteurs ont pu être publiés et en quelque sorte, tant mieux. Cela change des inepties généralement proposées par ces mêmes maisons. Pour résumer, et comme en toute chose, il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Les fins sont ici différentes.

J'en viens maintenant à ce qui a finalement déclenché mon envie d'interroger ce genre, ou plutôt le discours l'entourant.

Puisque cette littérature est enseignée, elle bénéficie d'analyses diverses, surtout depuis la prise en considération de la paralittérature dans les années 60/70 dans les études littéraires "proprement" dites. Ah, l'analyse titrologique des romans de Guy des Cars par Henri Mitterand (Cf. C.Duchet, Sociocritique, Nathan, 1979), ou les jamesbonderies de Umberto Eco évoquant, entre autres, la volatisation de Bulgares (Il Caso Bond, Milan, Bompiani, 1965)... En ce qui me concerne, j'avais décidé de trouver un ouvrage pouvant faire office de manuel théorique sur la question. Le premier ouvrage trouvé à la bibliothèque constitue le point de départ de cette intervention hypertextuelle. Il s'agit de Le Roman policier, de Daniel Fondanèche (Paris, Ellipses, 2000). L'éditeur présente cet ouvrage ainsi : "Cet ouvrage est destiné aux étudiants de premier cycle du supérieur qui souhaiteraient trouver de l'information sur ce genre littéraire, aux étudiants d'IUFM qui doivent connaître toutes les formes de la littérature pour répondre aux attentes des élèves, surtout au collège, et aux enseignants, pour les aider à parfaire leur culture sur les paralittératures.".

Dès l'incipit, l'auteur affirme que "Le roman policier plonge ses racines assez profondément dans l'Histoire puisqu'il est lié au besoin d'élucidation d'une situation assez trouble" (3). L'étymologie du terme "histoire" semble ici fournir la pierre de touche à l'argument, histoire signifiant "enquête" en grec ancien. Mais en français moderne, le terme désigne et l'étude des faits et événements du passé et ces faits et événements eux-mêmes. La relation de causalité indique que l'on considère "Histoire" (avec sa majuscule) comme la discipline elle-même : recherche et découverte (l'élucidation) seraient constitutifs de ces deux instances. Mais alors, comment comparer un genre (le roman policier) à une discipline ? Il serait plus juste de mettre en balance analyse littéraire et Histoire. Revenant sur la première partie de l'assertion de D. Fondanèche, les choses se compliquent encore pour peut-être s'éclaircir : le polar (ou policier) plonge ses racines dans l'Histoire signifierait donc que le genre est plus ou moins ontologiquement une discipline (avec méthode(s), théorie(s) et chapelle(s) ?). Cette discipline serait donc mise en intrigue, pour user de la formule de P. Ricoeur, sous la forme d'un récit. D. Fondanèche, qui ne parle pas de Ricoeur à ce stade, poursuit sa définition et arrive à rejeter des composantes constitutives du genre plusieurs éléments :
- le crime ou le délit, parce que non exclusifs du genre.
- les types d'enquêteurs, trop nombreux.
- l'énigme, en tant que construction dramatique, parce que non exclusive (3).
Mais peut-on imaginer un auteur proposant un roman policier où il n'y aurait ni crime, ni énigme, ni enquêteur ? Ces éléments ne doivent pas impérativement être tous conviés au sein du récit, mais il faut bien que sous cette dénomination, l'auteur propose un objet reconnu comme tel par le lecteur. Sans être spécialiste du roman policier, il me semble qu'il y aurait ici matière à creuser en considérant, avec G. Genette et J-M. Schaeffer, le genre comme une convention discursive, ce qui libère la définition. Crimes et énigmes relèvent alors de conventions constituantes, régulatrices et traditionnelles. En les replaçant dans leur contexte historique, cela permettrait d'expliquer leur présence et/ou leur absence dans le genre, ainsi que leurs combinaisons.(cf. la synthèse de Laurent Jenny de l'Université de Lausanne sur la question des genres).

D. Fondanèche poursuit, et mes interrogations (de non spécialiste)le suivent. Il affirme ainsi que "Le roman policier obéit à des lois propres, à un fonctionnement interne complexe du récit, qui a beaucoup évolué depuis la création du genre" (3). Peut-on y lire la survivance du dogme structuraliste où le texte est vu comme étant coupé du monde ? Ce serait là faire étonnamment peu de cas de l'auteur, du lecteur, du contexte, etc, bref, de tout ce relie la littérature, même para-, au monde. Étonnamment, car l'approche choisie par l'auteur est de retracer l'évolution du genre depuis...la Bible.

Enfin, D. Fondanèche livre une définition 'positive' du roman policier (c'est-à-dire de ce qu'il est) : "Le roman policier est donc, semble-t-il, la trace romanesque d'une quête ayant pour but de rétablir un équilibre qui a été rompu après une transgression sociale. C'est la remise en ordre stable d'un état social qui, pendant un temps, a été perturbé. Le début de cette normalisation est confiée à un individu (policier, enquêteur, justicier), avant que la fin en soit confiée au fatum ou à l'institution judiciaire"(4). C'est le schéma narratif tel qu'il est enseigné au collège qui est exposé ici, sans qu'il y ait véritablement quoi que ce soit de particulier au roman policier. La même définition vaut pour le roman d'aventure. "M'enfin ? " se serait exclamé Gaston Lagaffe, pour ne pas reprendre les propos plus véhéments de votre serviteur, déçu par la sensation que le pacte (de lecture) n'a pas été honoré.

N'étant pas satisfait, et souhaitant toujours me pencher sur la question dans le but d'en créer un cours, je vais de ce pas me remettre sur la piste. L'enquête se poursuit.

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