jeudi 21 février 2013

Libre de lire : semaine de la liberté d'expression 

Note : le site en français semble avoir disparu. Veuillez vous référer au site en anglais : http://www.freedomtoread.ca/freedom-to-read-week/#.USWYgcjMLIU

Libre de lire : voilà le thème qui sera à l'honneur dans plusieurs bibliothèques canadiennes du 25 au 28 février.

Avec des collègues, nous avons décidé de participer à cet événement sur notre campus très anglophone en faisant une lecture publique en français, s'il vous plaît, et aussi en anglais, d'extraits de certains ouvrages littéraires écrits en français et censurés (c'est-à-dire interdits à la publication tels quels). Cette lecture se déroulera sous l'égide de notre bibliothèque universitaire.

Mais voilà, quel texte retenir ? L'Enfer n'est plus (Abramovici) et il y a déjà peu de textes littéraires écrits en français de nos jours interdits à la publication. Dans ce genre d'action, il faut quand même que le texte choisi"parle" encore au public actuel plus ou moins décroché de l'histoire des idées ou du livre. En effet, la majorité ne lit pas forcément et quand elle le fait, ce n'est pas forcément de la Littérature avec un "L" (pour cette notion voir mes autres messages). De plus, la censure varie en fonction des époques et des lieux, les thèmes proscrits alors ne le sont plus aujourd'hui, ou alors pas partout, et pas dans les mêmes proportions. En effet, les Versets sataniques ne sont pas censurés en occident.   

Bref, délicate question, car il faut quand même retenir l'attention des passants, tentative qui passe par la mise en scène du goût de l'interdit. Faudrait-il encore qu'ils y soient tous plus ou moins réceptifs. De même, tout texte censuré n'est pas bon à lire, même dans le cadre de ce genre de manifestation. Et certains textes non censurés lus en public dans ce cadre pourraient se voir refusés le droit d'être lus car ils viendraient heurter de plein fouet la logique de la "bien-pensance", celle-là même qui organise ce genre de manifestation. Ira-t-on lire les pages antisémites de Céline ? Le risque de se faire taper sur les doigts serait bien plus grand que si nous lisions Candide de Voltaire, Mme Bovary de Flaubert ou Les Damnés de la terre de Frantz Fanon, pourtant tous victimes de la censure, voire interdits en leur temps.

Quant à nous, nous avons opté pour de l'ancien mais toujours d'actualité : un classique du genre (voir Darnton ou Goulemot) sous l'Ancien régime, le roman libertin Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise (1683), accompagné de sa version anglaise Venus in the cloister or the Nun in her Smock (traduit et publié la meme année). Si on peut facilement trouver une version numérisée de l'ouvrage en français, en revanche sa traduction anglaise n'est pas disponible librement sur la toile (il faut pour ça être abonné au site Defining Gender 1450-1910 ). Serais-je assez taquin pour y voir que la pornographie vieillotte en français est plus accessible que sa contrepartie anglaise ? Ce serait juger bien vite et mal de l'ouverture d'esprit et du génie des Angles car eux-aussi avaient leur classique du genre, Fanny Hill or the Memoirs of a Woman of Pleasure (1748) de John Cleland, ouvrage tout à fait accessible par tous en ligne, en anglais et en français (là s'est limitée ma recherche). Mais, me dira-t-on, la traduction de notre Vénus n'est pas, elle, accessible librement. C'est vrai. Pour l'instant. Car on ne voit pas ce qui pourrait continuer à bloquer la diffusion de ce texte alors qu'un célèbre moteur de recherche propose de plus en plus de textes anciens en version numérisée. Et non, gardons-nous d'avoir l'esprit mal tourné et d'y voir, de la part des universitaires abonnés à ce site, la volonté de se réserver les pages, peut-être bonnes, de ce genre de littérature. Tout ceci reste, bien sûr, très sérieux. Espérons toutefois que nous arriverons à retenir l'attention des passants. Diderot, dont on fête cette année le tricentenaire de la naissance, ne s'y était pas trompé.

Après cette première tentative, nous renouvellerons l'expérience, avec plus de textes, le 28 février lors d'une lecture participative dans les locaux de l'Alliance française de Calgary : http://www.afcalgary.ca/

Abramovici, Jean-Christophe, Le livre interdit, Payot, Paris, 1996.
Darnton, Robert : The Forbidden best-sellers of Pre-Revolutionary France, New-York, Norton, 1995.
Goulemot, Jean-Marie : Ces livres qu'on ne lit d'une seule main, Paris, Minerve, 1994.


Aucun commentaire: