lundi 26 novembre 2012

Luxe et voyage au XVIIIe siècle. Réflexions présentées aux élèves de 2nde et 1ère du Lycée Louis Pasteur de Calgary

Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion de présenter une série de réflexions à des élèves de lycée sur le double thème du luxe et du voyage au XVIIIe siècle.

Claude Joseph Vernet, Intérieur du port de Marseilles (1754). Source Wikipedia.


Ce bref exposé m'a permis de dépasser la vision la plus évidente qui associe exploration, commerce et colonisation et que l'on retrouve dans des textes tels que le Dictionnaire universel de Furetière ou Le Mondain et les Lettres philosophiques de Voltaire. Ainsi pour Furetière "les trésors de l'Amérique ont amené le luxe en Europe" et pour Voltaire "Le superflu, chose très nécessaire, a réuni l'un et l'autre hémisphère". Toutefois le premier a la dent plus dure que le second et pose d'emblée un constat sur les effets pernicieux du luxe. A l'article "Nattier" peut-on lire que "le métier des nattiers était fort bon autrefois, aujourd'hui il ne vaut plus rien depuis que le luxe a introduit les tapisseries au lieu de la natte". Pour Voltaire, il ne s'agit avant tout que d'un "heureux échange".

J'ai donc proposé aux élèves de plutôt envisager le lien entre luxe et voyage sur la base de deux questions :
1) comment la relation de voyage et d'autres pratiques du voyage contribuent au développement du lien entre luxe et voyage?
2) trouve-t-on une critique ou une défense du luxe dans le récit de voyage ?
Et voici un aperçu de ce qui suivit.

Fort logiquement, le premier élément mentionné fut le voyage européen et notamment le Grand Tour des Anglais mais aussi des Français. Maximilien Misson, auteur du Nouveau voyage d'Italie (1690) - qui constitue avec le Voyage d'Italie (1670) de Richard Lassels les deux textes les plus influents dans la conception du Tour -  recommande que pour "voyager agréablement, il faut faire belle dépense". Le Tour ou le voyage européen ne sont pas accessibles à tous. Si les jeunes aristocrates ne semblent pas dépenser plus à l'étranger qu'ils ne le feraient chez eux, il y a quand même un coût que nul ne peut éviter (Edward Mead, The Grand Tour in the eighteenth century, 1914 et aussi Daniel Roche, Humeurs vagabondes, 2003).  De plus, le débat sur l'utilité des voyages revient souvent à évoquer la perte financière que représente le voyage pendant un an ou deux, voire trois, de ces jeunes fortunés.

Ensuite il fut brièvement question du livre en tant qu'objet, avec son lot grandissant d'illustrations, voire de couleurs. On pourra ainsi comparer les nombreuses illustrations de l'Histoire générale des voyages (1746-1759) de l'abbé Prévost avec celles de Jacques Grasset de Saint-Sauveur. Mais aussi le luxe apparaît dans les planches illustrant les objets des indigènes. Si ces planches servent souvent à évoquer le degré d'avancement technologique des peuples observés, elles témoignent aussi d'un regard intéressé sur les métaux précieux et les pierreries qui se trouvent dans ces pays et dans le même temps peut faire référence au débat sur le luxe en signifiant le goût pour le superflu de certaines populations.

Ensuite, nous nous sommes intéressés à l'inventaire du récit de voyage (qui articule aussi une aventure et un commentaire). Deux exemples puisés l'un chez Joseph Jérôme le Français de Lalande, auteur du Voyage d'un Français en Italie et l'autre chez l'abbé Prévost dans l'Histoire générale des voyages. Le premier exemple insiste sur la dimension religieuse de l'inventaire et la description implicite du luxe : c'est la pompe avec laquelle l'office religieux du jeudi saint est célébré (Tome 5). Le second exemple illustre l'aspect explicite de la description du luxe chez les femmes des villes de Batavia (Java) et Lima au Pérou. S'appuyant sur les relations de Nicholas de Graaf et Antonio de Ulloa, Prévost relaie l'idée selon laquelle les femmes seraient plus enclines au luxe vestimentaire (Tomes 4 et 12).

Puis nous sommes passés à un autre aspect du luxe dans la relation, c'est-à-dire lorsqu'il est considéré en tant que thématique de l'inventaire. Le Voyage en Hollande  de Diderot, publié de 1780 à 1782 dans la Correspondance littéraire, nous fit ainsi parler de dentelles, de la mode et des dames, encore une fois. Je serais curieux de savoir si les voyageuses en avaient autant à dire sur les hommes vus en voyage. Par ailleurs, je manque encore d'informations pour savoir si Diderot est le premier à mentionner le luxe en tant que thématique.

Pour finir, nous avons évoqué le cas des récits de voyages imaginaires avec le récit de Pierre de Lesconvel, Idée d'un règne doux et heureux ou relation du voyage du Prince de Montbéraud dans l'île de Naudély (1703 puis 1706 sous un titre légèrement différent) et le Voyage d'un prince autour du monde, ou les effets du luxe (1772) de Rabelleau, où le débat sur le luxe se trouve être l'un des objets principaux de l'argumentation, mais c'est bien là au XVIIIe l'une des finalités de ce type de voyage.





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